À une époque où la population de Québec doit faire face aux affres des incendies et des épidémies, elle côtoie également la misère. Incapable financièrement de prendre en charge l’assistance aux démunis, l’État doit s’en remettre à l’initiative de groupes laïcs et religieux. Parmi ceux-ci figure la Société de Saint-Vincent-de-Paul de Québec, fondée en 1846. L’un de ses membres, l’avocat George Manly Muir (1807-1882), prend notamment conscience des lacunes du système social à réhabiliter les femmes, les prostituées en particulier, à la sortie de prison et met sur pied un refuge.
Situé dans le faubourg Saint-Jean[1] en 1850 puis dans le faubourg Saint-Louis la même année, l’Asile Sainte-Madeleine est tenu par un groupe de femmes dirigé par Marie-Josephte Fitzbach (1806-1885)[2]. Une mission éducative se greffe bientôt à leur vocation[3]. Regroupement laïc à l’origine, il se constitue en ordre religieux en 1856 sous le nom de Servantes du Coeur-Immaculé de Marie; dans la population, on les appellera plutôt les Soeurs du Bon-Pasteur d’après l’une de leurs oeuvres.
C’est autour d’une petite maison[4] du faubourg Saint-Louis que se forme dans la deuxième moitié du XIXe siècle un ensemble conventuel afin de satisfaire à la mission sociale, éducative et religieuse de la communauté. Ainsi, aux abords de la rue De La Chevrotière sont édifiées les maisons du Bon-Pasteur (1854), la chapelle (1866) et la maison Sainte-Madeleine (1875). La maison Sainte-Famille[5] (1859) et l’Hospice Saint-Charles[6] (1876) s’ajoutent également le long de la rue Saint-Amable.
Le couvent, qui échappe miraculeusement à l’incendie du faubourg Saint-Louis en 1876[7], connait d’importants chantiers au XXe siècle. En 1909, en raison d’un effondrement appréhendé, la façade de la chapelle est reconstruite. À la fin des années 1920, les bâtiments bordant la rue De La Chevrotière sont portés à leur hauteur actuelle[8]. Enfin, entre 1959 et 1961, les maisons Sainte-Famille et Notre-Dame-de-Grâces sont exhaussés afin d’uniformiser les dimensions de l’ensemble conventuel. Avec ses parements différents, celui-ci porte les traces des interventions antérieures.
Dans les années 1960 et 1970, la communauté assiste de près aux nombreuses transformations de la colline Parlementaire. En 1974[9], dans le but de résoudre le problème d’espace au palais de justice devant la place d’Armes, le gouvernement du Québec exproprie les Sœurs du Bon-Pasteur et planifie la construction d’un nouvel édifice sur le site du couvent. L’attribution du statut d’immeuble patrimonial à la chapelle l’année suivante et la mise sur pied d’un mouvement de contestation ont toutefois raison des intentions du gouvernement.
L’ancien couvent est recyclé en coopératives d’habitation au début des années 1980. La chapelle est administrée par les religieuses jusqu’en 2001 puis gérée par la corporation Espace Bon-Pasteur jusqu’en 2007. Huit ans plus tard, le gouvernement du Québec, par l’entremise de la Société québécoise des infrastructures, devient propriétaire du bâtiment cultuel après des années d’abandon.
Notes
[1] L’Asile est situé initialement sur la rue Richelieu.
[2] L’historien de la communauté, Henri-Raymond Casgrain, dresse en 1896 un portrait peu reluisant du faubourg Saint-Louis au milieu du XIXe siècle. On peut comprendre alors la décision d’y transférer le refuge en 1850: « C’était le rendez-vous des soldats de la garnison, composée alors de plusieurs régiments anglais. On y voyait affluer également les matelots qui montaient de la rade voisine par les escaliers des plaines d’Abraham. On peut se figurer les scènes d’ivrognerie et de désordres qui s’y passaient habituellement. Les gens paisibles ne s’engageaient pas, le soir, sans quelque crainte, dans certaines rues où l’on ne rencontrait guère que des passants en habits rouges, ou des matelots à moitié ivres. ». Voir Henri-Raymond Casgrain, L’Asile du Bon-Pasteur de Québec, d’après les annales de cet institut, Québec, Imprimerie de L.-J. Demers & Frère, 1896, p. 118, via nosracines.ca; en 1851, un rapport du surintendant de police de Québec signale la présence d’une quinzaine de maisons closes dans les faubourgs Saint-Jean et Saint-Louis où vivent 71 prostituées. Voir Division du Vieux-Québec et du patrimoine, Saint-Jean-Baptiste : entre faubourg et centre-ville, Québec, Ville de Québec, 1988, p. 19.
[3] Des classes accueillant les filles de familles pauvres du quartier sont ouvertes dès 1851.
[4] Ce bâtiment situé à l’angle des rues De La Chevrotière et Saint-Amable est nommé en l’honneur de la Société Saint-Vincent-de-Paul.
[5] La maison Notre-Dame-de-Grâces est édifiée en 1899 dans le prolongement de la maison Sainte-Famille. Voir les photographies ci-dessous.
[6] Le bâtiment change de nom à la suite du transfert de l’Hospice Saint-Charles dans l’édifice de l’hôpital de la Marine en 1892. Siège de l’Académie Saint-Louis jusqu’en 1915, il devient la maison Immaculée-Conception à cette époque. Celle-ci est ajointe d’un bâtiment de cinq étages en 1925. Voir les photographies ci-dessous.
[7] Cet incendie qui prend naissance dans une écurie de la rue Scott détruit plusieurs centaines de bâtiments. Le couvent, qui est pourtant au cœur de la zone sinistrée, est épargné par les flammes.
[8] Afin de respecter la symétrie imposée par l’exhaussement de la maison Saint-Vincent-de-Paul, un nouvel édifice de six étages est construit à la même époque à l’extrémité nord du couvent. Il devient la maison Notre-Dame-de-la-Pureté.
[9] Certaines sources évoquent l’année 1975 mais les débats de la Commission permanente des transports, des travaux publics et de l’approvisionnement de l’Assemblée nationale en avril 1974 font état de l’achat du couvent. On y apprend également que ce n’est pas une expropriation forcée dans la mesure où les religieuses avaient annoncés leur intention de quitter leur complexe plus que centenaire. Voir Assemblée nationale du Québec, « Étude des crédits du ministère des Travaux publics et de l’Approvisionnement », Journal des débats de la Commission permanente des transports, des travaux publics et de l’approvisionnement : 30e législature, 2e session (14 mars 1974 au 28 décembre 1974), Québec, Assemblée nationale du Québec, 1974.
Abréviations des centres d’archives
AVQ: Archives de la Ville de Québec
BAC: Bibliothèque et Archives Canada
BAnQ: Bibliothèque et Archives nationales du Québec
Documents consultés
« Chapelle des Sœurs-du-Bon-Pasteur ». Répertoire du patrimoine culturel du Québec. Ministère de la Culture et des Communications du Québec, sans date.
« Les Sœurs du Bon-Pasteur de Québec, d’hier à aujourd’hui ». Le patrimoine immatériel religieux du Québec. Chaire de recherche du Canada en patrimoine ethnologique, Université Laval, sans date.
« Société de Saint-Vincent-de-Paul ». Répertoire du patrimoine culturel du Québec. Ministère de la Culture et des Communications du Québec, sans date
« Sœurs du Bon-Pasteur ». Répertoire du patrimoine culturel du Québec. Ministère de la Culture et des Communications du Québec, sans date.
Division du Vieux-Québec et du patrimoine. Saint-Jean-Baptiste : entre faubourg et centre-ville. Québec, Ville de Québec, 1988, 72 p. Coll. « Les quartiers de Québec ».
LACASSE, Andrée-Anne. « L’institutionnalisation de l’enfance déviante : Le cas de l’Hospice Saint-Charles ». Mémoire de maîtrise, Québec, Université Laval, X-226 p. (Fichier PDF à télécharger)
NOPPEN, Luc et al. Québec, trois siècles d’architecture. [Québec], Libre Expression, 1979, XI-440 p.
PARENT, Olivier. « Chapelle du Bon-Pasteur : Québec veut sauver le bâtiment de l’abandon ». Le Soleil (Québec), 19 juillet 2014.
PATRI-ARCH. Patrimoine du quartier Saint-Jean-Baptiste, partie sud : histoire de la forme urbaine. Québec, Ville de Québec/Centre de développement économique et urbain/Design et patrimoine, 1997, VI-198 p.
PATRI-ARCH Patrimoine du quartier Saint-Jean-Baptiste, partie sud : patrimoine architectural. Québec, Ville de Québec/Centre de développement économique et urbain/Design et patrimoine, 1997, VI-191 p.
PATRI-ARCH. Patrimoine du quartier Saint-Jean-Baptiste, partie sud : répertoire des propriétés. Québec, Ville de Québec/Centre de développement économique et urbain/Design et patrimoine, 1997, V-264 p.
RICARD-CHÂTELAIN, Baptiste. « Une alarme persistante à la chapelle des Sœurs-du-Bon-Pasteur », Le Soleil (Québec), 27 janvier 2015.
VACHON-BELLAVANCE, Valérie. « La patrimonialisation chez les Sœurs du Bon-Pasteur [ :] vers une construction identitaire ». Mémoire de maîtrise, Québec, Université Laval, 2014, XI-181 p. (Fichier PDF à télécharger)
Articles connexes
L’Hôpital de la Marine (vers 1875)
La colline Parlementaire (1971)
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